La bouche est séduction, beauté, éclat.
La scarification et le tatouage sont écriture et langage
sur le parchemin épidermique et muqueux.
La peau se couvre de signes selon des codes sociaux spécifiques.
Chez les élégantes japonaises d’antan, les dents étaient enduites d’un vernis noir et luisant dans un souci de beauté et de féminité ; le visage était poudré de blanc. En Indochine, le laquage des dents en brun, rouge, noir était le comble du raffinement. On habillait les dents. Dans certains systèmes culturels et tribus, le plateau labial -labret- est perçu comme signe extérieur de richesses. Une femme sans labret est une femme sans bouche.
Epoques, croyances, représentations et significations sociales, techniques et ressources influent sur les modèles de beauté, sur les choix esthétiques. Aujourd'hui, toutes ces pratiques, empreintes de singularité sauvage sont en régression.
La beauté n’est pas une donnée absolue, définitive, elle est fragile et brève, elle est un moment privilégié de la vie, de la jeunesse aux charmes fugaces et éphémères. La beauté est relative par rapport à une culture, à une société, à un moment donné ; relative au sujet lui-même, à ses propres modèles. Dans l’art, de nombreux peintres ont souligné l’aspect séducteur et suggestif de la bouche. Les oeuvres de Picasso, de Dali, de Man Ray, de Folon, de Sigmar Polke... font l’apologie de la beauté buccale..
Emprunter une esthétique à une autre culture que la sienne est parfois reproché aux "créateurs" de mode. Inspiration, hommage pour les uns, pillage et racisme pour les autres. Mais cette exotisation des cultures du monde a toujours existé aux "quatre coins du globe", devenus aujourd'hui croisements infinis de métissages et d'interpénétrations, au point de faire dire à nos scientifiques que l'homme est une chimère. L'homme n'a jamais cessé d'évoluer génétiquement, grâce à des échanges sexuels bien sûr, mais aussi non sexuels (avec les gènes de microbes et de parasites).
Depuis que les cellules se sont associées pour former les premiers pluricellulaires, il y a plus de deux milliards d'années, peu à peu au fil des âges, les organismes vivants mémorisent des informations et les transmettent de génération en génération. De génétique, l'évolution est devenue progressivement culturelle.
La vie ne peut se développer qu’entre deux pôles contraires (que la vieille culture chinoise connaît, depuis si longtemps, sous les noms de yin et yang). Il y a du yin dans le yang et inversement. Le Yin désignait à l'origine le versant d'une colline à l'ombre, Yang désignait le versant exposé au soleil.
Yin et Yang déterminent la manifestation graduelle des 10.000 entités (ou êtres).
Les opposés, loin d'être inconciliables, sont complémentaires et interdépendants, chacun contenant le germe de l'autre, ils sont en mutation constante.
Par Michel Serres, mort samedi 1er juin 2019 à l'âge de 88 ans.
Dans ma jeunesse, on vous arrachait les dents sans anesthésie, j'ai connu deux ou trois générations d'édentés qui ne mangeaient que de la soupe. Qui, soir ou matin se lavait les dents ?
Tout d'un coup, grâce à la médecine, la "mode changea". Les femmes se dévoilent lentement, les corps se dénudent et les sourires insolents affichent une dentition parfaite. On montre son corps qui autrefois n'était pas montrable à cause des cicatrices que laissaient la syphilis et la petite vérole.
Dans les sixties, le mouvement hippie et la "beat generation" venus des Etats-Unis arrivent en France. On affiche des motifs à fleurs (flower power), des piercings et des tatouages pour symboliser la paix, la liberté et l'amour (Make Love Not War). Les scientifiques deviennent philosophes à cause d'Hiroshima et de la guerre d'Indochine.
Aujourd’hui et jadis, ici et ailleurs, on joue avec le désir de plaire. Désormais, pour corriger les injustices et les imperfections, on va voir orthodontiste, dentiste, dermatologue, chirurgien esthétique ... qui vont rétablir l’esthétique et la fonction.
L’apparence de la santé est aujourd’hui un critère de beauté. La bouche doit être harmonieuse et saine. Si l’on dépouille la plus belle des femmes de ses dents, elle ne pourra point plaire. Les dents sont ornements et parures buccales.